La Banque Centrale Européenne (BCE) a mis en place une politique monétaire qui ne cesse de durcir, et celle-ci produit de plus en plus d’effets visibles sur l’économie française. Malgré que le marché immobilier soit déjà en souffrance, le renchérissement du coût de l’emprunt peut avoir de lourdes conséquences sur les ménages ainsi que sur les entreprises.
Le relèvement des taux par la BCE
En augmentant ses taux directeurs à sept reprises depuis juillet dernier afin de maîtriser l'inflation grandissante dans la zone euro, la Banque Centrale Européenne (BCE) a mis fin à une période prolongée de politique monétaire accommodante. Toutefois, jusqu'à présent, les conséquences sur l'économie française ont été relativement limitées. « Il faut généralement un à deux ans pour que le resserrement monétaire produise ses effets. Les effets les plus importants des hausses déjà décidées sont encore devant nous », avertit un expert.
Certains effets, qui ne sont pas toujours négatifs, sont déjà visibles : « La politique de la BCE a entraîné une appréciation de l'euro par rapport au dollar, ce qui réduit le prix des importations », remarque Marc Brütsch, chef économiste de Swiss Life Asset Managers. Par ailleurs, les épargnants ont constaté une augmentation du taux de rémunération du Livret A, qui est passé à 3 %.
Les taux atteindront leur point culminant fin 2023 / début 2024
Cependant, le secteur immobilier subit de plein fouet la hausse du coût des emprunts. Cette situation est directement causée par la hausse des taux des prêts hypothécaires, qui sont passés en moyenne de 1,12 % en janvier 2022 à 2,56 %en mars 2023, entraînant une baisse des transactions immobilières. Certains économistes qualifient cela de « normalisation de la demande » après la surchauffe enregistrée au début de l'année 2022.
Malheureusement, ce n'est pas terminé. Les taux des prêts immobiliers continuent d'augmenter et pourraient atteindre rapidement une moyenne de 4 %. Cette situation donne des sueurs froides aux entreprises de construction qui, anticipant une détérioration de leur activité dans les mois à venir, appellent à l'aide de l'État. « Le secteur a beaucoup embauché ces dernières années. Une correction de l'emploi n'est pas exclue dans les mois à venir », alerte Hugo Le Damany, spécialiste de la zone euro chez AXA IM.
À partir du second semestre, les effets de la hausse des taux se feront ressentir dans toute l'économie. « Le pic dépendra du moment où la BCE arrêtera d'augmenter ses taux », explique Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture de Rexecode, qui prévoit que cela se produira « entre le deuxième semestre 2023 et le premier semestre 2024 ».
Il faut rester prudent
Après le secteur immobilier, les entreprises vont également souffrir des conséquences de la hausse des taux d'intérêt. Selon l'économiste de Rexecode, bien que leur situation financière soit actuellement favorable, elles réagissent timidement au resserrement de la politique monétaire. Cependant, cette situation risque de changer. « Nous devons remonter aux années 2011-2012 pour retrouver les niveaux actuels. De plus, la hausse du coût du crédit n'est pas encore terminée », ajoute l'expert. Dans ce nouvel environnement de taux d'intérêt, « elles seront plus prudentes dans leurs décisions d'investissement, car avec des conditions de financement plus élevées, la rentabilité escomptée des projets diminue mécaniquement », souligne Hugo Le Damany.
Les initiatives d'investissement public telles que le plan France 2030 ainsi que les plans de transformation numérique et écologique devraient toutefois atténuer un ralentissement trop brusque. En revanche, la fin des taux bas fragilisera les entreprises les plus endettées, augmentant ainsi le risque de faillites dans un contexte où la consommation est déjà en berne depuis plusieurs mois.
Vers une chute de 25% des prêts personnels
Les conditions de crédit se durcissent sérieusement, même pour les ménages. Au premier trimestre, les prêts personnels ont chuté de 25 % par rapport à l'année précédente, selon l'Association française des sociétés financières. L'économiste Véronique Riches-Flores estime que la diminution des achats de biens durables risque de s'accentuer, car ils sont liés au marché immobilier et sensibles à l'évolution du pouvoir d'achat. Les achats de voitures continueront également à souffrir. Dans ce contexte, les entreprises auront beaucoup plus de difficultés à augmenter leurs prix. Néanmoins, l'experte estime que les effets des hausses de taux pourraient être atténués par le repli futur de l'inflation.
La croissance économique française sera affectée par cette nouvelle réalité. Marc Brütsch prévient que la dynamique de l'activité économique va ralentir et prévoit une hausse du PIB de seulement 0,6 % en 2023 et 2024. Hugo Le Damany, expert chez AXA IM, abonde dans le même sens, en ajoutant qu'il ne faut pas s'attendre à une croissance trimestrielle supérieure à 0,1 ou 0,2 % jusqu'à mi-2024. Cependant, les prévisions divergent. Par exemple, la Commission européenne table sur une croissance de 1,4 % en 2024 pour l'économie française, tandis que le gouvernement français vise 1,6 %.